
Introduction //
Le besoin en coeur /
3000 à 4000 greffes cardiaques : c'est ce qu'il faudrait pouvoir faire par an en France pour sauver un maximum de vies.
Le nombre de patients en attente de greffe cardiaque ne cesse d'augmenter et jusqu'ici la seule solution est la transplantation cardiaque. Mais le nombre d'organes disponibles reste insuffisant ; seulement 350 transplantations environ sont réalisées par an.
Le chirurgien et cardiologue français Alain Carpentier veut répondre à ce besoin, c'est pourquoi depuis plus d'une vingtaine d'années, il s'intéresse à la création d'une prothèse cardiaque artificielle.
C'est en 1993, qu'à la suite d'une rencontre avec Jean-Luc Lagardère, un chef d'entreprise, qu'ils débutent ensemble l'étude d'une prothèse cardiaque totalement implantable.
C'est finalement en 2008 que le prototype final est réalisé :
le coeur artificiel CARMAT est crée.

Historique//
C’est en effectuant une interview de 2 heures avec un chirurgien cardiaque récemment à la retraite qui a effectué au moins 400 chirurgies cardiaques que nous avons repris les grandes lignes de cette fantastique histoire de la chirurgie cardiaque et du cœur artificiel. Ce chirurgien s’appelle Marc Chuzel , il a travaillé comme chirurgien cardiaque à l’hôpital cardiologique Louis Pradel de 1973 à 2012.
Du matériel artificiel jusqu'au coeur artificiel /

Opération cardiaque interne
La première intervention cardiaque utilisant du matériel artificiel a été pratiquée en 1943 par la chirurgienne cardiologue Docteur Helen Taussig qui en s’associant avec le Dr Blalock ont osé effectuer une manœuvre de ré-oxygénation du sang : ils ont réalisé une anastomose (un passage) entre l’artère sous clavière et la veine pulmonaire pour les enfants qui souffraient de malformation cyanogène (sang pas assez oxygéné qui est de couleur bleutée) quand ceux-ci souffraient de malformation cardiaque empêchant une oxygénation suffisante du sang. Cette communication artificielle s’est faite d’abord avec la veine puis s’est avérée possible avec un tube de Gore-tex (cf schéma ci-dessous) qui fut la première intervention faisant intervenir du tissu artificiel dans une intervention cardiaque en utilisant des anticoagulants (Aspirine®). Cette manœuvre pouvait s’effectuer avec le cœur fonctionnant normalement, sans avoir besoin de sortir ou d’ouvrir le cœur.
Circulation extracorporelle
La circulation extracorporelle qui consiste à faire circuler le sang et l'oxygéner en l'absence du cœur s’est d’abord pratiquée chez le chien ; ensuite, en utilisant le sang maternel durant l’intervention pour mettre en contact du sang oxygéné circulant avec le sang veineux de l’enfant à travers une membrane ; puis enfin on a réussi à oxygéner artificiellement le sang en utilisant un appareil volumineux qui oxygène le sang veineux en le faisant « barboter » dans un appareil à bulles à oxygène (cœur-poumon artificiel) puis CEC (circulation extra-corporelle). Cette technique permet d’effectuer des opérations à cœur ouvert et réparer ainsi des valves par exemple en continuant à oxygéner le corps et ce sera une grande avancée de la chirurgie cardiaque.
C'est ainsi que les premiers chirurgiens ont tenté chez le chien de transplanter un cœur, c’est-à-dire de remplacer un cœur par un autre en mettant en route une CEC (Circulation Extra Corporelle). Le système artério-veineux peut oxygéner le corps du chien pour que l’on puisse enlever le cœur et le remplacer par le cœur d’un autre chien.
L’autre avancée technologique est le refroidissement cardiaque permettant désormais de prélever un cœur, qui est à distance du futur receveur. Le cœur refroidi à 4°C se met en hibernation et se remet à fonctionner (rythme de contraction de base lié au faisceau de Hiss) lorsque le cœur est transplanté, qu'il est ré-oxygéné et réchauffé.


Première transplantation cardiaque chez l'homme
La première transplantation cardiaque chez l’homme a eu lieu le 3 décembre 1967 en Afrique du Sud par le chirurgien Christian Barnard (photo ci-joint). Un homme mourant arrive dans son hôpital (mort cérébrale) car il a reçu une balle dans la tête : il est maintenu en vie artificiellement afin de maintenir en vie tout ses organes en attendant qu’on opère le patient ayant un cœur malade et puisse recevoir le cœur de ce donneur condamné. C’est à la fois le hasard des circonstances, l’avancée dans la circulation extra- corporelle et la technique de refroidissement qui lui a permis de faire cette première transplantation au monde avec succès. Il est suivi par Norman Shumway aux États-Unis quelques mois plus tard. En France, les pionniers en sont les professeurs Christian Cabrol, Gérard Guiraudon et Maurice Mercadier à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, le 27 avril 1968.
La quasi intégralité du cœur du receveur est ôtée après mise en place d'une circulation de suppléance (circulation extracorporelle) : seul le toit de l'oreillette gauche est conservé, avec ses 4 veines pulmonaires. Le cœur du donneur est ensuite mis en place et suturé aux autres gros vaisseaux (aorte, artère pulmonaire, veines caves supérieure et inférieure), ainsi qu'au toit de l'oreillette gauche.
Les greffes cardiaques
Les premiers greffés sont décédés rapidement de complications semblables liées le plus souvent au rejet de la greffe par le système immunologique du receveur de la greffe qui considère la greffe comme un corps étranger. La découverte de la Cyclosporine ( agent immunosupresseur, c'est-à-dire qui empêche le rejet d'un organe greffé ) en 1980 sera la source d’une avancée fulgurante pour la réussite des greffes et a diminué la mortalité à 20 % alors que la mortalité était de 80% avant l’utilisation de cet immunosuppresseur efficace. Cette avancée est utile pour tous les types de greffe. L’autre cause de décès est liée aux embolies qui sont des caillots de sang constitués dans le cœur qui vont partir dans la circulation sanguine et boucher des artères (notamment au niveau cérébral, pouvant être la source d’accident vasculaire cérébral irréversible.

Rappelons qu’une personne en état de mort cérébral (accident de voiture le plus souvent, crise d’asthme…) et qui a accepté de donner ces organes en cas de drame sera maintenu « en vie cardiaque artificielle » (intubation pour la ventilation et assurer l’oxygénation de ces organes) et recevra du sucre pour la consommation d’énergie par ces organes. Ces organes seront ensuite prélevés et source de nombreuses vies sauvées car on prélèvera son cœur, son foie et ses reins pour sauver des patients qui sont en attente de ces organes pour survivre (voire transplantation de main ou autre). Il est donc rare d'avoir cette situation extrême de patients en état de mort cérébrale prêt à donner leurs organes. Il y a encore beaucoup de personnes qui refusent de donner leurs organes en cas d’accident.
Actuellement, en l’absence d’écrits ou de témoins fiables qui refusent ce don, on considère qu’une personne qui n’a rien exprimé ni écrit sur ce point est d’accord de donner ses organes, ce qui a permis d’augmenter le nombre de donneurs qui n’avaient pour la plupart pas donné leur opinion. Auparavant, il fallait avoir écrit son acceptation pour le don d’organe, actuellement, « qui ne dit mot consent ». Malgré cette avancée déontologique, nous n’avons pas assez de donneurs et sont en attente de nombreux receveurs. De nombreux patients en insuffisance cardiaque sévère meurent chaque année car on n’a pas assez de cœur de donneur. D’où l’importance de trouver une situation de rechange pour que le cœur fonctionne en attendant une greffe et c’est ainsi que la volonté de trouver un cœur artificiel est devenue une nécessité. Idéalement, on préfère tout de même une greffe de cœur humain plutôt que d'un cœur artificiel mais c'est une question de vie ou de mort.
Il existe donc deux types de cœur artificiel :
1) Le cœur artificiel provisoire en l’attente d’un cœur humain
2) Le cœur artificiel total qui doit remplacer la greffe de cœur humain sur du long terme, qui présente l’avantage de ne pas provoquer de rejet de greffe. A l'inverse d'une transplantation cardiaque, l'implantation d'un cœur artificiel ne présente aucun risque de rejet par le système immunitaire puisqu'il s'agit de matériaux biologiquement inertes mais les risques de thromboses restent importants. Les défis techniques sont mis à l’œuvre (batterie, longévité du matériel).
Coeur artificiel Jarvik 7
En 1982 , le cœur artificiel Jarvik 7 est posé à plusieurs patients dont l’espérance de vie est faible sans cœur de donneur. Ce sont les américains qui ont inventé cette technique passionnante et certains patients ont survécu des années. En 1986, les professeurs Alain Carpentier et Gilles Dreyfus procèdent à la première transplantation d’un patient sous cœur artificiel en Europe (Lancet) : « Robert Jarvik et son équipe s'attaquèrent au design d'un coeur artificiel qui serait implanté à titre permanent. Fabriqués de plastic polyuréthane et d'aluminium, les deux ventricules de leur prototype devaient être suturés aux oreillettes natives. Ces ventricules étaient animés par de l'air comprimé transmis aux pompes par des tuyaux traversant la peau. Ils testèrent leur prototype sur différents animaux, dont des veaux, et purent démontrer que leur machine pouvait battre régulièrement plus de 100.000 fois par jour et assurer ainsi un débit cardiaque suffisant chez les animaux d'expérience. L'implantation sur l'homme de leur prototype baptisé Jarvik 7 eut lieu en 1982. Barney Clarke, un dentiste de Seattle, en sera le premier bénéficiaire. N'étant pas candidat pour différentes raisons à une transplantation cardiaque, il accepta cette première implantation du Jarvik 7 et sera opéré à Salt Lake City, Utah. L'opération, réalisée par William De Vries, durera 7 h 30. Malheureusement, Barney Clarke ne quittera jamais l'hôpital et mourra de complications qui le conduisirent à la défaillance de tous les systèmes 112 jours après l'opération. »


Acceptation de l'idée du coeur artificiel pour le grand public
Après Clark, de nombreux patients acceptèrent l'implantation du Jarvik 7 et le record de survie sera détenu par William Schroeder. Il survivra 18 mois avec son appareil et sera emporté par la survenue brutale d'un Accident Vasculaire Cérébral.
A la fin des années 80s, 70 Jarvik 7 ont été implantés chez des patients dont bon nombre purent bénéficier d'une transplantation cardiaque par la suite.
En effet, la notion d'implantation d'un cœur artificiel comme pont vers la transplantation fut acceptée en 1985. C'est ainsi que le Dr Jack G. Copeland implanta un Jarvik 7 à Michael Drummond le 29 août 1985. Ce dernier bénéficiera une semaine plus tard d'une transplantation cardiaque.
Les évolutions du Jarvik 7 donneront le coeur artificiel total Symbion et finalement le coeur artificiel total CardioWest (photo ci-joint).
Coeur artificiel CARMAT
En France, Alain Carpentier veut aussi créer le premier cœur artificiel total efficace à long terme et met au point pendant des années un cœur appelé CARMAT. Le cœur artificiel total, réservé aux malades graves, remplace totalement le cœur biologique. Le chirurgien laisse généralement les oreillettes en place et y connecte les ventricules automatiques. Le 18 décembre 2013, le premier cœur artificiel total CARMAT est implanté à l'hôpital européen Georges-Pompidou à Paris. Le patient décède moins de trois mois plus tard. Le deuxième patient à avoir reçu un cœur artificiel CARMAT est opéré le 5 août 2014 à Nantes. Il est rentré chez lui le 2 janvier 2015, âgé de 69 ans. Son cœur fonctionne pendant huit mois, puis ce patient est hospitalisé pour une insuffisance circulatoire le 1er mai 2015 et décède le lendemain de complications opératoires malgré le remplacement de sa prothèse. Le CHU de Rennes a confirmé le 6 septembre 2014 avoir lui aussi implanté un cœur totalement artificiel de marque SynCardia de fabrication américaine. Le 28 avril 2015 est diffusée dans la presse l'annonce de l'implantation, le 8 avril 2015, d'une 3e prothèse cardiaque CARMAT par une équipe médico-chirurgicale de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris27. Hélas, le patient est décédé d'un arrêt respiratoire le 18 décembre 2015, mais le coeur artificiel n'en serait pas la cause. Le quatrième patient bénéficiant du cœur artificiel total CARMAT est décédé récemment le 21 janvier 2016. Aucun n’a donc survécu en France avec un cœur artificiel total conçu en France. Certains patients bénéficiant de prothèse totale sont encore en vie dans d’autres pays et nous laissent espérer que cette technique puisse à moyen terme remplacer la greffe de donneur car le nombre de demandeurs dépasse largement celle des donneurs. Des avancées technologiques dans la conception du cœur artificiel sont le seul espoir pour la plupart d’entre eux.
